La tomaterie de Saint-Pierre, vers 1940.
Bâtie au début des années 1900, la conserverie de tomate de Saint-Pierre n’est plus maintenant qu’un souvenir. Il faut s’imaginer l’activité qui pouvait régner au village durant une courte période de l’été, soit en août et une partie de septembre. Une quarantaine de femmes et de jeunes filles et une dizaine d’hommes de la région travaillaient à la tomaterie. C’est ce que nous a appris madame Cécile Spénard-Poisson qui a eu la gentillesse de nous raconter cette partie de sa vie de jeunesse. Dans la photo ci-dessous, elle est très attentive aux questions posées, pour donner des réponses précises; nous la remercions de sa gentillesse.
Les tomates, cultivées à Saint-Pierre, bien sûr, mais aussi dans toute la région et même à St-Damase, près de St-Hyacinthe, étaient transportées par camion jusqu’à l’usine de transformation de St-Pierre.
Les hommes se chargeaient de recevoir et de peser l’arrivage des tomates, puis ils les ébouillantaient pendant un temps précis, et les refroidissaient rapidement; ceci facilitait l’étape suivante, exécutée exclusivement par des femmes; elles étaient chargées de peler les tomates et d’éliminer toute partie indésirable.
Ces femmes, les « éplucheuses », avaient chacune leur espace de travail pour recevoir les tomates transportées dans des chaudières de vingt livres et prêtes à être pelées; elles emplissaient de tomates pelées d’autres contenants et mettaient de côté les pelures qui serviraient plus tard à la fabrication de ketchup; rien ne se perdait! Comme ces travailleuses étaient payées à la quantité de tomates pelées, il valait mieux recevoir des grosses tomates régulières et sans défaut plutôt que des petites. Celles de St-Damase étaient reconnues pour être grosses et plus faciles à travailler.
Le travail se faisait à l’aide d’une cuiller à manche épais, et aux bords aiguisés (ci-contre).
Les hommes venaient ensuite quérir les tomates pelées; l’étape suivante était le « cannage »; les tomates entières étaient mises dans les boîtes de conserve, puis le sertissage se faisait à la chaîne. Il fallait par la suite stériliser les conserves à l’aide de 2 ou 3 gros autoclaves durant un temps déterminé. On pense que la chaleur dans le stérilisateur était produite par un feu de bois placé sous l’autoclave; en effet, dans un des contrats notariés, on parle de « bois de chauffage qui est dans la bâtisse »; étant donné que l’usine n’était utilisée qu’en été, ce bois ne pouvait servir qu’à cette fonction.
À l’aide de palans, on sortait le cannage des autoclaves, et les boîtes de conserves étaient refroidies selon une technique précise. C’est un autre secret du succès de la conserve. Tout ceci consommait de l’eau, fournie par un aqueduc privé desservant le village; tout le cannage était entreposé dans un coin de l’usine. Avant d’écouler la marchandise à la fin de la saison, on y collait une étiquette, un « label ». Le produit fini était vendu dans divers marchés et commerces.
Ce sont les hommes qui étaient chargés de préparer le ketchup fait à partir des pelures. Avaient-ils une recette secrète? Leur travail étant très varié, leur salaire était horaire contrairement aux femmes qui étaient payées à la pièce ou à la chaudière.
Ce travail vraiment saisonnier s’étirait de 7 heures du matin à 6 heures le soir, avec une petite heure pour dîner; les pauses étaient un luxe que les ouvrières ne pouvaient pas se permettre, étant payées selon leur production. Il faut imaginer ces gens courageux, levés tôt, couchés tard, travaillant dans la chaleur, l’humidité des autoclaves, les déchets, pour un revenu modeste; ils ont contribué à la prospérité de la région; il serait intéressant qu’une autre industrie agro-alimentaire voie le jour, en ces temps difficiles.
(Propos recueillis en janvier 2013, de Madame Cécile Spénard-Poisson, âgée de 92 ans et qui a travaillé à l’usine. Cette entrevue a été enregistrée sur vidéo, et est conservée dans les archives de la société).
P.S. : Nous avons employé dans cet article le vocabulaire utilisé par les travailleurs de l’époque.
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